La rencontre

 Comédie dramatique

 
    


Durée: 50  minutes

Un homme et deux femmes

Synopsis: Deux femmes d'âge mûr,Marguerite et Isabelle se rencontrent sur un banc public. Elles ne se sont pas vues depuis trente ans.Elles se mettent à parler, mais pas de l'essentiel... Chacune cache à l'autre un lourd passé qui éclatera lors d'un diner organisé par Marguerite et son mari Gérard. L'arrivée d'Isabelle va-elle sauver Marguerite de son inexorable descente vers la folie?



Personnages
Isabelle : 50 ans, célibataire, femme libérée, sexy


Marguerite : 50 ans, mariée à Gérard, bourgeoise introvertie


Gérard : 60 ans, mari  de Marguerite, bel homme, timide et gauche

ACTE I                 
Une femme, Marguerite, assise sur un banc, face  au public. Environ 50 ans. Allure d’une femme bourgeoise introvertie. Tailleur strict et cheveux ramassés en chignon. Elle porte des lunettes .Lit un livre. Arrive une autre femme, Isabelle. Elle porte une robe décolletée et semble très libérée .S’assoit à côté sur le banc et se met à se maquiller. Au bout d’un moment, Isabelle regarde avec insistance Marguerite.


ISABELLE.- j’ai l’impression de vous avoir déjà vu…


MARGUERITE.- lève les yeux de son livre et regarde distraitement Isabelle, puis replonge immédiatement dans sa lecture. Pas moi .Au bout d’un instant, elle relève la tête et fixe attentivement Isabelle.  

Oui, votre tête me dit vaguement quelque chose, mais je ne vois pas. Je ne sais vraiment pas où je vous aurais vu. Je ne sors jamais. Aujourd’hui c’est exceptionnel, c’est un jour particulier. De plus, vous n’êtes pas mon genre. Brusquement, Marguerite s’arrête de parler et regarde fixement Isabelle.
Isabelle ! Tu es Isabelle ! Ce n’est pas possible. Je rêve… Oh ! Isabelle, il y a si longtemps. Tu m’as tant manqué !


ISABELLE.- C’est bien moi, tu ne rêves pas. Et tu es Marguerite ! Elles s’embrassent.


MARGUERITE.- Je n’arrive pas à y croire ! Ca fait combien de temps ? Au moins trente ans ! Comme je suis heureuse de te voir ! Quand je pense que si je n’étais pas venue dans ce parc, je ne t’aurais pas retrouvée ! Il y a des fois ou je me dis que le hasard n’en est pas vraiment un. Tu n’as pas trop changée tout compte fait ! Toujours frétillante, quelques kilos  en plus, c’est tout. Raconte moi, qu’as-tu fais de toutes ces années ? Es-tu mariée, as-tu des enfants ?


ISABELLE.- Tu sais, il y a si longtemps que l’on ne s’est pas vu. Je ne sais pas par quoi commencer. Depuis le lycée, il s’est passé tant de choses. Tu te rappelle du lycée !


MARGUERITE.- Oui, je me rappelle, tu avais beaucoup de succès auprès des garçons et j’étais jalouse de toi.


ISABELLE.- Ca n’en valait pas la peine. J’étais jeune et belle et j’adorais me sentir admirée, désirée. Quand on n’est pas sûre de soi, quoi de plus rassurant que  le regard d’un homme !


MARGUERITE.- Bien sûr, les regards, tu les attirais. C’était même devenu un problème. Il suffisait d’une œillade un peu appuyée et tu réagissais au quart de tour. Je m’en souviens comme si c’était hier… Tu ne pouvais contrôler ton corps, fait qui avait quelques conséquences fâcheuses sur ton intimité. Elle rit.


ISABELLE.- Marguerite, je t’en prie. Ne te moque pas de moi. Pas maintenant. Depuis, les choses ont bien changées. Je suis passée d’un excès à l’autre. Les méfaits de l’âge, sans doute.


MARGUERITE.- J’ai du mal à te croire. Toi, en panne ! Ton corps était l’opposé du mien. Moi, les garçons, ils me faisaient peur. Je n’osais pas les regarder droit dans les yeux. Pourtant, je me souviens d’un jeune homme. J’étais amoureuse de lui et j’en rêvais la nuit. C’était terrible. Mais c’était sans espoir. Il ne faisait pas attention à moi.


ISABELLE. – Evidemment, il fallait voir comment tu étais accoutrée. Les cheveux plaqués, avec toujours la même coiffure, ton éternelle queue de cheval. Toujours la même jupe. Et ta tête, tu n’as jamais pensé que ta tête leur faisait peur ? Une tête d’enterrement, jamais un sourire. Et ta façon de marcher en regardant tes pieds de peur d’affronter le regard des autres ! Franchement, tu ne faisais rien pour les attirer, les hommes.


MARGUERITE.- Oui, parce que toi, tu les attirais, c’est sûr …Comme des mouches !Mais, quand ils étaient bien repus de tes opulents charmes, ils t’ignoraient tout autant que moi. Ils te méprisaient, je te le dis. Un jour, j’avais surpris une conversation qu’ils tenaient à ton sujet. Et bien, on peut dire que tu n’étais pas franchement respectée. C’était consternant. J’en avais honte pour toi.


ISABELLE.- Tu dis çà parce que tu étais jalouse ! En fait, je pense avec le recul que tu avais raison. On ne respecte vraiment que l’être que l’on ne peut posséder entièrement, l’être qui est capable de vivre avec l’autre, de l’aimer mais dont l’essence provient d’une source différente, libre et indépendante. J’ai fais l’amour avec des hommes, beaucoup d’hommes. J’aimai leurs corps, j’avais besoin d’eux. Dormir seule dans un lit, m’étais insupportable. Il fallait que je sente la chaleur de leurs mains, de leurs jambes, le contact rassurant de leurs peaux. J’étais dans l’incapacité totale d’assumer mon être comme un tout. Je n’étais qu’une fraction d’un autre. Je ne pouvais fonctionner seule à l’image d’une serrure sans clé. Tu as raison, mais je l’ai compris un peu tard. A trop se donner, on se perd et je me suis si bien perdue que personne ne m’a trouvée. Aucun homme ne m’a aimée. Je me suis mariée, il y a vingt ans. J’étais amoureuse, c’était merveilleux. Nous faisions l’amour tous les jours au début mais, au bout de six mois, j’ai senti qu’il commençait à se lasser. Il faut dire que j’étais nympho, je le reconnais. Il en a eu assez. Alors, il a divorcé. J’ai pleuré, puis je me suis jurée de ne plus m’attacher. Alors, je me suis mise à prendre partenaire sur partenaire, juste pour le physique. Puis, j’ai eu envie d’avoir un enfant. J’ai rencontré un homme, notre relation semblait harmonieuse. Mais, j’ai compris après plusieurs échecs que je ne pourrai jamais en avoir. J’étais stérile à cause d’une MST que j’avais attrapé avant de le connaître. Encore une fois, j’ai été larguée. Depuis, je suis seule et j’ai du mal à m’y faire. J’ai toujours horreur malgré les années à me coucher le soir dans un grand lit vide et glacé.


MARGUERITE.- Et oui, maintenant, ton corps dont les appâts se sont ternis avec l’age se noie dans la solitude. Excuse moi, ma vieille, mais je n’ai pas pu m’en empêcher. Petite revanche sur le passé.


ISABELLE.- Tu te moques de moi. Et bien, raconte moi ta vie maintenant. C’est à mon tour de rigoler.


MARGUERITE.- Tu veux vraiment savoir. Ma vie n’est pas très intéressante, mais si tu y tiens ! Et bien, après mes études, j’ai pris un poste de professeur  de Sciences naturelles à l’université, et je me suis mariée. Oui, c’est étonnant, n’est ce pas ? Je me suis mariée avec un docteur en Mathématiques. J’avais peur de rester seule. J’étais persuadée que je ne trouverai jamais l’amour, et que, si par chance cela se produisait, ce serait sans espoir de retour. Alors, j’ai pris un bon mari, comme on prend une salade bien pommée en faisant ses courses au super marché. De bonne famille, taille moyenne, mince, intelligent, cultivé. Le gendre parfait, en quelque sorte. Sauf qu’il ne m’attirait pas.


ISABELLE.- Mais, s’il a accepté de t’épouser, c’est qu’il t’aimait ?


MARGUERITE.- Il aurait pu être dans la même situation que moi et  chercher simplement à se caser. Mais dis donc, cela t’étonne tellement que l’on puisse m’aimer ! Allez, dis-le, une morue séchée comme moi ! Et bien oui, il était amoureux de moi, à la folie. Au début, je trouvais ça amusant et puis, je me suis habituée. Nos relations sexuelles n’étaient pas franchement exaltantes mais je me disais que ce n’était qu’un mauvais quart d’heure à passer. De toutes façons, la plupart du temps, il était tellement pressé que c’était terminé avant d’avoir commencé.


ISABELLE.- Et maintenant, qu’en est-il ? Ca fait combien de temps que tu es mariée ?


MARGUERITE.- 20 ans.


ISABELLE.- Comment as- tu pu résister si longtemps ? Je suppose que tu l’as trompé ?


MARGUERITE.- Non, jamais. Enfin….si, une seule fois, mais je préfère ne pas en parler. A force de contrôle, on finit par ne plus avoir de besoin. Le corps est une merveilleuse machine mais quand on la néglige, elle s’endort, elle hiberne en quelque sorte.

ISABELLE.- Et pourquoi êtes vous restés ensemble ? C’est idiot, vous pouviez trouver l’amour chacun de votre coté. C’est tellement merveilleux d’être amoureux !


MARGUERITE.- Parle pour toi ! Pour tomber amoureux, il faut être capable de voir l’autre comme on voudrait qu’il soit. Il faut être capable de rêver. Les rêveurs sont des éternels amoureux. Moi, j’ai trop les pieds sur terre, je suis trop réaliste pour ne pas voir tout de suite les défauts. Le prince charmant ! Jamais, il ne traversera ma route. Au moins, je sais à quoi m’en tenir. Ma vie n’est pas exaltante mais je ne suis pas malheureuse non plus. En fin de compte, je suis mieux lotie que toi. Moi, j’ai un homme dans ma vie. C’est très utile. Il y a plein de choses que je ne pourrai pas faire sans lui, même si son contact physique n’est pas toujours agréable. Tu sais, l’amour n’est pas essentiel. La seule question importante qu’il faut se poser n’est-elle pas celle-ci : la vie est-elle plus facile ou plus difficile avec ou sans homme ?


Apparaît le mari de Marguerite, Gérard. La soixantaine. Costume strict. C’est un bel homme, cependant il semble  timide, introverti, gauche .Il se dirige vers Marguerite avec un air inquiet.


GERARD.- Marguerite, ma chérie, que fais-tu donc ? Je t’ai cherché partout. J’étais très inquiet. Il l’embrasse.


MARGUERITE.-  Gérard, c’est formidable ! J’ai rencontré par hasard une vieille amie que je n’ai pas vue depuis 30 ans. Tu te rends compte ! Nous avons papoté et je n’ai pas vu le temps passer. Je te présente Isabelle, une amie du lycée.


GERARD.- Gérard serre la main d’Isabelle. Enchanté.


ISABELLE.- Isabelle lui adresse son sourire le plus charmeur .Moi de même. Je vais vous laisser.


MARGUERITE.- Qu’est-ce que tu nous racontes ! On ne va pas se quitter alors que l’on vient juste de se retrouver ! Viens dîner à la maison ce soir, Gérard sera ravi. N’est-ce pas Gérard ? Gérard fait un signe de tête sans enthousiasme.


ISABELLE.- Je ne voudrais pas vous importuner.


MARGUERITE.- Mais non, ce soir, 20 h, c’est décidé. Ce n’est pas loin d’ici. Elle écrit sur un papier  « 28 square de l’étoile »C’est la maison à l’angle de la rue, tu ne peux pas te tromper. Mon téléphone : 01.60.16.42.29


ISABELLE.- Merci beaucoup. A ce soir alors. Elle sort avec un large sourire



 ACTE II

Scène 1
Changement de décor. Appartement de Marguerite et Gérard. Une table et trois chaises.
 Marguerite s’active pour mettre la table. Elle est très excitée à la perspective de recevoir Isabelle. Gérard lui, ne semble pas enchanté.


MARGUERITE.- Isabelle a besoin qu’on lui remonte le moral. La pauvre, elle se sent si seule. Je suis contente de l’avoir revue ! Cela fait si longtemps. Tu me croiras si tu veux, mais malgré nos caractères très différents, c’était ma meilleure amie. C’est bête, elle a déménagé et puis on s’est perdu de vue.


GERARD.- Je vais encore me faire chier toute la soirée. Vous allez papoter entre filles et il n’y aura pas de place pour moi. Ma présence est-elle vraiment indispensable ?


MARGUERITE.- Absolument. Qu’est-ce que tu peux être casanier ! On ne reçoit jamais personne. C’est l’occasion. Et puis, Isabelle est très gentille. Elle va apporter un peu d’air frais. On étouffe dans cette maison !


GERARD.- Comment ça, on étouffe ? Commence par te regarder. Tu sens la naphtaline et le canard wc. C’est sûr, lutter à longueur de journée contre la saleté laisse des traces indélébiles. Sauf à ouvrir les fenêtres et laisser l’odeur nous envahir. Mais tu en as peur. Tu as peur de tout ce qui est vivant.
Tu préfères tout fermé. Et moi, je suis obligé de subir tes phobies. Que t’as- elle dit pour que tout d’un coup, tu aies des envies, hein, toi qui n’en a jamais. Elle t’a rappelé ta jeunesse, elle t’a rappelé la petite flamme vacillante qui brillait dans tes yeux et qui est depuis longtemps éteinte. Sait-elle seulement que tu n’as plus rien. Ni travail, ni amis, à part un imbécile de mari qui doit se satisfaire de la situation, il faut croire, puisqu’il est toujours là !

MARGUERITE.- Gérard, je t’en prie. On ne va pas recommencer ! Ca ne sert à rien. Anna ne reviendra pas et rien ne pourra désormais rallumer l’étincelle de mes yeux. Pourquoi me forces-tu à dire ce que tu sais déjà. Anna est morte et ma vie s’est éteinte ce jour là. Je n’y peux rien, je n’arrive même plus à pleurer. Mon corps est sec et mes yeux ne peuvent plus se fermer la nuit. Ils restent grands ouverts, le sommeil m’ayant quitté depuis longtemps. Anna…Je parviens même à prononcer ce mot sans trembler maintenant. Il faut croire que je suis devenue une machine, un robot qui vit comme une mécanique bien huilée. Toi aussi, tu aimais Anna et c’est pour cela que tu es encore là aujourd’hui. Tu le sais très bien. Toi aussi, tu te sens responsable. Je ne suis pas la seule fautive.


GERARD.- Oui, mais moi, je ne t’en veux pas. Je ne me refuse pas à toi comme tu le fais avec moi ! Tu ne m’as jamais pardonné.  Vas-tu m’en vouloir jusqu’à la fin de mes jours ?  Je n’en peux plus d’attendre, je deviens fou. Pourquoi invites-tu cette amie ? Pour me tenter ? Elle est seule et libre, tu veux que je lui fasse des avances, c’est ça ! Tu veux me voir craqué. Tu veux que je bande . Tu veux m’humilier. Tu veux voir si je suis capable de résister à la tentation, au plaisir ! Et si je ne le peux pas, tu pourras affirmer avec tes théories foireuses que je n’aimais pas Anna autant que toi puisque je m’autorise le plaisir alors que je ne dois accepter que la souffrance et les punitions. Mais, je ne te laisserai pas faire. Tu ne réussiras pas à me détruire. Je suis vivant, que tu le veuille ou non.
De toutes façons, je n’ai plus d’érection depuis longtemps. Tu as atteint ton objectif. Sous tes airs de femme irréprochable, en fait tu es un monstre.


MARGUERITE.- Calme toi. Isabelle a besoin de compagnie. Montrons-nous comme un couple uni. Cela ne peut que nous faire du bien d’être à l’écoute des problèmes des autres et d’oublier un peu les nôtres. Aides-moi à mettre la table. Elle arrive dans une demi-heure.

Scène 2


Gérard lit dans un fauteuil. Marguerite se repeigne rapidement. Isabelle sonne à la porte.


MARGUERITE.- Voilà, J’arrive. Elle ouvre la porte.
Isabelle entre. Très aguichante, elle porte une robe moulante sexy beaucoup trop voyante pour son age. Dans ses bras, un bouquet de fleurs.
ISABELLE.- Embrasse Marguerite.
Bonsoir ! Voilà, j’ai pris des marguerites. En souvenir de notre jeunesse. C’est très joli ici.
S’adresse à Gérard qui n’a pas levé les yeux de son journal .Bonsoir Monsieur.


GERARD.- se lève à regret .Bonsoir Madame.


MARGUERITE.- Toujours aussi farceuse ! Merci. Elles sont très jolies. Assied-toi, je t’en prie. Nous allons prendre l’apéritif. Gérard va mettre ton manteau au vestiaire.
Marguerite tend le manteau d’Isabelle à Gérard qui le prend à contrecoeur et sort.


ISABELLE.- Je suis très gênée ! J’ai l’impression que ton mari n’apprécie pas ma présence, il m’ignore.


MARGUERITE.- Mais non, il est juste un peu timide. Il n’a pas confiance en lui, surtout avec les femmes. Comme entre nous deux, cela ne va pas fort, il pense que cela vient de lui.


ISABELLE.- Vraiment, je ne comprends pas pourquoi il ne t’attire pas. C’est un bel homme. Il me conviendrait bien. Excuse-moi, bien sûr, je plaisante. Jamais je n’irai prendre le mari d’une amie.


MARGUERITE.- Oui, bien sûr. Je te fais confiance.


Gérard revient dans la pièce.
ISABELLE.- s’adressant à Gérard. Marguerite m’a dit que vous enseignez les mathématiques, cela doit être passionnant?


GERARD.- Regardant Isabelle de bas en haut d’un air ironique. Vous vous intéressez aux mathématiques ?


ISABELLE.- C'est-à-dire que…non. Moi, c’est plutôt le marketing. Je travaille chez Danone. Vous savez, les petits pots bébé. Je suis chef de projet. 


GERARD.- les petits pots ! C’est infect. Je ne sais pas comment les bébés peuvent avaler ça ! Encore un truc pour éviter aux femmes de faire la cuisine.


ISABELLE.- Comment le savez-vous ? Vous les avez goûtés ?


GERARD.- Embarrassé. Oui…Il y a longtemps. C’est vrai qu’il ont peut-être fait des progrès depuis.


ISABELLE.- Vous avez des enfants ?


MARGUERITE.- Précipitamment. Non, nous ne pouvions en avoir. Regardant fixement Gérard. C’est un de nos grands regrets, à Gérard et à moi.


ISABELLE.- Moi non plus, je n’en ai pas. C’est pourquoi, je compense en travaillant dans un secteur qui touche de près les enfants. Ca me fait mal mais je ne peux pas m’en empêcher. C’est tellement adorable, toutes ses frimousses roses. Je suis souvent au contact des bébés. On fait des tests de goût, d’ergonomie. On fait des enquêtes auprès des mamans pour connaître leurs préférences. C’est passionnant !


GERARD.- Vous au moins, vous ne vous mettez pas la tête dans le sac.


ISABELLE.- Pardon ? Je n’ai pas bien compris.


GERARD.- Je veux dire que vous essayer de faire face au problème, vous ne l’occultez pas. C’est une attitude que j’apprécie. Marguerite, tu devrais faire pareil.


MARGUERITE.- Je ne vois pas de quoi tu parles. Comme mon plus gros problème c’est toi, que suis-je supposer faire ?


ISABELLE.- Ecoutez… Je ne voudrais pas que ma présence soit responsable d’une scène de ménage.


MARGUERITE.- Mais, tu ne nous déranges pas du tout. Au contraire, je suis ravie de te revoir.


ISABELLE.- Marguerite, c’est idiot, arrêtons de nous jouer la comédie. Je vois que tu vas encore plus mal que moi. Je vais donc parler la première et j’espère qu’ensuite tu me feras suffisamment confiance pour le faire à  ton tour. Voilà, comme tu t’en doutes, je ne t’ai pas dit la vérité tout à l’heure. J’étais mariée et j’aimais mon mari. Nous avions un enfant, un garçon. Il s’appelait Paul. Il prenait des cours de guitare tous les mercredis et je le conduisais en voiture. Ce jour là, j’avais bu plus que d’habitude. Oui, j’étais alcoolique. Je ne me sentais pas en état de prendre la voiture mais je ne voulais pas que Paul rate son cours et mon mari n’était pas là. Nous avons eu un accident et Paul est mort sur le coup. Moi, je n’ai eu que quelques cotes de cassées. C’était il y a dix ans. Mon mari m’a quitté. Je ne bois plus une goutte. J’ai tué mon enfant. Pendant des années, je me suis répétée cela tous les jours. Je ne vivais plus. Pourtant, oh combien je l’aimais. Je l’aimais. Ils m’ont tous montré du doigt, la mère indigne, la mère assassine. Je me suis cloîtrée, n’osant même pas sortir pour faire mes courses. Je me faisais livrer à domicile. J’ai été jugée et condamnée pour homicide involontaire. Cinq ans de prison. Là- bas, j’étais à l’abri. Et à la sortie, je suis partie là ou personne ne me connaissait, là ou personne ne me montrerait du doigt. Enfin presque, puisque je t’ai retrouvé.


MARGUERITE.- Je te remercie de tes confidences mais je n’en suis pas digne. Moi qui suis partie sans te dire au revoir, jalouse de te voir toujours entourée alors que  j’étais désespérément seule. Comment as- tu fais pour continuer à vivre.


ISABELLE.- J’ai essayé de me suicider une fois. Cela se passait au Mexique mais un enfant m’en a empêché. Je me trouvais à Oaxaca, ville coloniale aux rues étroites agrémentées de superbes édifices en pierre, a 1500 m d’altitude. J’étais partie seule, en sac à dos. Seule dans un pays inconnu pour m’y perdre et ne plus revenir. Je voulais rejoindre mon fils. Je me tenais immobile autour du Zocalo, cette place centrale de la ville encerclée de cireurs de chaussures. Il faisait très chaud. Dans ma main droite, je tenais serrée une ampoule de cyanure que je m’apprêtais à porter à ma bouche. Mais son regard m’a arrêté aussi violemment qu’un bras musclé. C’était un petit garçon, âgé d’environ 10 ans, un cireur de chaussures, un   « Bolero »    comme on les appelle là-bas, ces enfants des rues qui survivent comme ils peuvent et qui sont si nombreux que l’on ne fait même plus attention à eux. Il  se tenait à quelques mètres de l’endroit où je me trouvais. Il était habillé de guenilles et le visage barbouillé de cirage. Il m’a demandé s’il pouvait cirer mes chaussures avec une voix triste et beaucoup plus mûre que ce que son âge pouvait  laisser prétendre. Malgré mon espagnol rudimentaire, j’ai compris ce qu’il me disait. Ses yeux  profonds et graves étaient fixés sur moi, comme si ma réponse était capitale, comme si sa vie dépendait de ce que j’allais dire. Il s’appelait  Paolo. Et comme une évidence, j’ai compris que Paolo, c’était Paul. Que le monde était peuplé de milliers de Paul et que je n’avais pas le droit de mourir égoïstement, que mon amour, mon trop plein d’amour, je me devais de le donner à tous les Paul qui en avaient besoin. Je ne pouvais pas adopter d’enfants avec mon passé judiciaire. Alors, je me suis inscrite dans des associations humanitaires, je parraine des enfants à travers le monde et avec mes petits moyens, j’essaie de peindre leur vie en couleur. Plus jamais, je n’ai eu envie de mourir. J’ai aidé Paolo à grandir. Maintenant, il a une femme et des enfants qui eux, vont à l’école. Il ne bat pas sa femme et n’a pas besoin de se saouler. Il tient un magasin d’alimentation et aide à son tour les petits Boléros à s’en sortir. Voilà, j’ai décidé de vivre et d’aimer, et même si Paul est mort, il sera toujours à mes cotés. Cela ne sert à rien de s’auto flageller.


MARGUERITE.- Tu es très forte, je t’admire.


ISABELLE.- Non, je suis aussi fragile que toi mais j’ai trouvé le support qui m’aide à continuer, c’est tout. Et maintenant, c’est ton tour. Je t’écoute.


MARGUERITE.- Ne se sent pas très bien. Excusez-moi, je reviens dans cinq minutes. Un étourdissement, ça va passer…Elle sort.


ISABELLE.- C’est ma faute, je n’aurai pas dû lui raconter.


GERARD.- Au contraire ! Vous ne pouvez pas savoir le bien que vous lui avez fait. Cela a été un tel choc qu’il va lui falloir pas mal de temps pour se remettre. Ecoutez…Pour être honnête avec vous, il faut que je vous livre moi aussi un secret que je partage avec ma femme et qui pèse sur nos épaules. Qui nous écrase complètement au point que nous sommes au bord de l’asphyxie.
Je suis très heureux car je vais enfin pouvoir me libérer. Voilà, moi aussi, j’ai tué  Anna, notre fille, par ignorance. Elle était diabétique et je ne savais pas lui injecter l’insuline. C’était Marguerite qui s’en occupait exclusivement, elle ne voulait pas que je m’en mêle. Mais j’aurai dû m’y intéresser quand même.
Quand Anna est entré dans le coma, je n’ai rien vu. J’avais bien remarqué qu’elle était très agitée et je l’avais bercé comme j’avais pu. Et au bout d’un moment, elle s’était endormie. Je me suis dit qu’elle avait des coliques. Sa dernière injection avait été faite par ma femme à 9 h et il était 13 heures. La prochaine était pour 20 heures. En réalité, elle était en train de décompenser son diabète et il lui fallait d’urgence une autre injection . C’était vital mais j’ignorais les symptômes de la maladie . Quand le téléphone a sonné, je me suis réveillé en sursaut  à 20 heures. L’hôpital appelait pour annoncer que ma femme avait eu un accident de voiture, mais qu’il n’y avait rien de grave. Soudain prit de panique, je me suis précipité sur le berceau d’Anna et avec effroi, je me suis rendu compte en la touchant qu’elle était toute froide. Elle ne respirait plus. Elle était morte.
Ma femme ne me l’a jamais pardonné bien qu’elle s’estime elle aussi responsable. Notre vie est un enfer. Nous nous détruisons parce que nous sommes incapable de tourner la page.
Votre histoire est un formidable exemple pour nous. Il faut que Marguerite accepte de faire le deuil d’Anna. J’ai bon espoir qu’elle y arrive. Vous lui avez envoyé l’électrochoc qu’il lui manquait.


ISABELLE.- Vous aimez votre femme, n’est-ce pas et elle ne vous le rend pas ? Ne vous fiez pas aux apparences. Marguerite a peut-être vieilli pendant toutes ces années qui nous ont séparées, mais elle n’a pas changé. Je la connais bien. Elle veut passer pour un être froid, calculateur, se moquant de tout ce qui peut se rapprocher des sentiments. Aimer est un mot qui ne fait pas partie de son vocabulaire. Mais tout cela n’est qu’une façade. C’est un être faible et qui souffre. Le problème, c’est qu’elle ne veut surtout pas le montrer. Elle est persuadée que la faille deviendrait une brèche béante par ou tout son être se répandrait pour mourir. Elle est incapable de se laisser aller.

GERARD.- Je le sais. C’est bien pourquoi je suis toujours avec elle, malgré son fichu caractère. Si seulement vous pouviez lui ouvrir les yeux et lui faire comprendre que la vie est devant et non derrière soi.


ISABELLE.- Je vais la voir dans sa chambre, attendez-moi là. Je vais essayer de lui parler. Ne vous inquiétez pas. Je reviens dans cinq minutes.
    

ACTE III


Scène 1


Gérard seul
GERARD.- Je ne sais pas ce qui m’arrive. J’ai l’impression de revivre. Mon corps comme une plante assoiffée et desséchée, vient de trouver sa source. Je sens la sève irradier tous les pores de ma peau. Quelle sensation agréable, trop longtemps oubliée ! Isabelle ! Je ne pourrais jamais te remercier assez. Je suis un miraculé. J’étais mort et me revoilà vivant. Je voudrais partir avec toi à des milliers de kilomètres. Faire table rase du passé. Plus de Marguerite, plus d’Anna. Rien que nous deux. Faire l’amour et ne plus penser. Aimer, oui, aimer. La plupart du temps, on vit et on oublie d’aimer. Fermer la porte, partir, la laisser. Non, je ne peux pas. Elle sera entre nous, toujours. Et si je la tuais…Un cachet dans un verre. Un de trop, elle prend tellement de somnifères. Personne ne pourra prouver quoi que ce soit. De toutes façons, sa vie est un enfer. Sa mort ne peut pas être pire. Mais non. J’ai déjà tué Anna, je ne peux pas recommencer avec Marguerite. Isabelle, aide-moi, je t’en prie. Je te veux, ne me repousse pas, s’il te plaît.

Scène 2
Isabelle sort de la chambre de Marguerite.


ISABELLE.- Nous avons discuté. Elle va mieux. Je lui ai dit que vous m’aviez raconté votre secret. Que je savais tout. Elle a paru soulagée. Je pense que maintenant, elle va pouvoir tourner la page. Tous les espoirs sont permis. Gérard, ne désespérez pas. Marguerite va s’en sortir.


GERARD.- Vous savez… Je…J’ai honte…J’ai envie de vous embrasser. Vous n’allez pas me croire, mais il y a si longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Excusez moi.


ISABELLE.- Mais non, ne vous excusez pas. J’en est très envie aussi. Mais j’ai promis à Marguerite de ne pas la trahir, je suis désolée.


GERARD.- Quand je pense que je ne voulais pas vous rencontrer et que l’on s’est querellé Marguerite et moi à ce sujet !


ISABELLE.- Ecoutez. Vous me plaisez terriblement, mais ce n’est pas possible. Pas maintenant.


GERARD.- Je vous en prie…Entre Marguerite et moi, le fil s’est cassé. C’est trop tard. Mais je n’ai pas le courage de lui dire. Il y a Anna. Elle est morte à cause de moi. Je ne peux pas la laisser seule. Ce serait tuer ma fille une deuxième fois. J’ai besoin de vous. Vendredi, j’ai une réunion professionnelle. Je n’irai pas. Nous nous verrons. Dites oui…
Au café de l’avenir, place des Martyrs à 18 heures. Je vous attendrai. Je dirai à ma femme que la réunion s’est prolongée plus longtemps. Cela m’arrive souvent et de toutes façons, elle est à cent lieux de penser que je puisse avoir une aventure.


ISABELLE.- Vous en êtes sûr ? Bon, d’accord. A vendredi. Mais à condition que vous ne preniez que ce que je suis capable de vous donner. Voici mon téléphone : 01.69.46.25.49


GERARD.- Comme vous voudrez. Isabelle, c’est formidable ! Je sors prendre l’air. On étouffe ici. A vendredi.  Il sort.

 

 

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